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Quand les droits de l’homme s’invitent aux festivités de Norouz à Paris

Sur le parvis des droits de l’homme, lieu symbolique à plus d’un titre, place du Trocadéro à Paris, le vent fait tournoyer drapeaux afghans et iraniens lors des festivités de Norouz, ce 25 mars 2023.
Sur le parvis des droits de l’homme, lieu symbolique à plus d’un titre, place du Trocadéro à Paris, le vent fait tournoyer drapeaux afghans et iraniens lors des festivités de Norouz, ce 25 mars 2023. © Anne Bernas/RFI

Tradition oblige, la fête millénaire du printemps perse est comme chaque année célébrée par plus de 300 millions de personnes dans le monde. Mais cette année, l’ambiance est plus à la revendication politique qu’à la fête pour défendre les droits des femmes iraniennes et afghanes.

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« On est là aujourd’hui pour faire la fête, mais aussi pour montrer notre solidarité avec les peuples opprimés, parce que cette année cette célébration se fait sur un fond de tristesse », raconte Maryam, Franco-Iranienne à la petite cinquantaine, un panier plein de fleurs au bras dont les pétales s’éparpillent aux quatre vents.

Sur le parvis des droits de l’homme, lieu symbolique à plus d’un titre, place du Trocadéro à Paris, le vent fait tournoyer drapeaux afghans et iraniens. Les bourrasques pénètrent et font valser robes et costumes des cultures perse, afghane, ouzbek, tadjik, indienne, turque, kazakh, etc., sur des airs de musiques traditionnelles.

Une double renaissance

Une longue table arbore les symboles de Norouz, la fête de la renaissance du printemps. L’héritage culturel de Norouz a été inscrit en 2009 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco et ONU, comme une fête internationale née d’un héritage culturel millénaire. Et en 2023, ce mot « renaissance » prend plusieurs significations. Le Haft Sîn (les sept S) comporte sept éléments dont le nom commence par S et qui ont chacun une valeur symbolique propre, qui incarnent ainsi une forme de renaissance.

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Juste à côté cette année, un autre stand : des pancartes scotchées au sol expliquent la situation des droits des femmes dans plusieurs pays célébrant Norouz. Sur une petite table, le portrait de Mahsa Amini, cette jeune femme devenue tristement célèbre le jour de sa mort et désormais symbole de la répression des manifestations en Iran.

À l’occasion de Norouz, les Iraniennes et les Iraniens se rassemblent pour célébrer le Nouvel an autour des flammes sacrées. Ce symbole a été repris par le mouvement « Femme, Vie, Liberté » en signe de protestation contre la mort de Mahsa Amini. Les femmes iraniennes ont transformé cette tradition symbolique en un acte politique et elles ont brûlé leurs voiles en les jetant dans le feu et en dansant autour. C’est pourquoi cette année Norouz prend un sens encore plus symbolique et qu’il est célébré en hommage aux femmes iraniennes éprises de liberté.

Des pancartes scotchées au sol expliquent la situation des droits des femmes dans plusieurs pays célébrant Norouz, sur le parvis des droits de l’homme à Paris, le 25 mars 2023.
Des pancartes scotchées au sol expliquent la situation des droits des femmes dans plusieurs pays célébrant Norouz, sur le parvis des droits de l’homme à Paris, le 25 mars 2023. © Anne Bernas/RFI

« Cette année, on dédie ce rassemblement au mouvement « Femme, Vie, Liberté », à toutes ces femmes d’Iran et d’Afghanistan qui se battent tous les jours contre un gouvernement tyrannique, dictatorial, théocratique, et surtout misogyne », explique, vêtue une longue veste traditionnelle persane cousue de fils dorés, Nazila Golestan, porte-parole de l’association Hamava (coalition nationale pour un Iran libre et démocratique).

« Oui, c’est très politisé aujourd’hui, alors que d’habitude ça ne l’est pas du tout », analyse le fils du président du Comité de soutien des droits de l’homme en Iran et réfugié politique, qui porte un somptueux manteau de velours et de broderies et qui fête Norouz depuis vingt-sept ans. « En 2023, je suis un infiltré en costume tadjik », s’amuse à expliquer le jeune homme qui confie ne pas avoir vraiment fait la fête cette année.

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Un appel à la paix

Emmitouflé dans un gigantesque drapeau aux couleurs de l’Iran, Arsalan, 63 ans, raconte : « Je participe aux festivités chaque année, mais cette année, elles ont un goût particulier avec « Femme, Vie, Liberté ». La femme a toujours eu une place essentielle dans la culture persane. Nous ne voulons plus de l’islam, nous voulons revenir à nos origines. » Et ce Franco-Iranien d’expliquer que désormais, il est entré dans une lutte identitaire et culturelle. « On est aujourd’hui en pleine révolution, en pleine renaissance dans les esprits des gens, et je veux y croire ! C’est une lutte de longue haleine », persiste-t-il alors que la musique se fait de plus en plus forte et que son épouse entame quelques pas de danse tout en chantant à pleins poumons.

Pour Pierre Hossein Lotfalizadeh, membre organisateur des festivités et président de l’institut Regard persan, cette répression brutale en Iran depuis six mois permet cependant de rassembler plus que jamais la diaspora iranienne partout dans le monde, et encore plus durant les célébrations de Norouz. « On le voit cette année, il y a beaucoup plus de monde que d’habitude, des Iraniens, mais aussi des spectateurs qui ne venaient pas d’ordinaire. » Et Pierre Hossein Lotfalizadeh de faire un vœu : que Norouz 2024 se fasse dans la démocratie en Iran, « que ce régime qui occupe l’Iran depuis 44 ans disparaisse, et que la paix soit propagée au-delà de l’Iran. »

Cette année pour Norouz, l’ambiance est plus à la revendication politique qu’à la fête.
Cette année pour Norouz, l’ambiance est plus à la revendication politique qu’à la fête. © Anne Bernas/RFI

« Nous sommes à l’extérieur, mais cela nous permet d’être plus libres pour transmettre le message de ceux qui sont à l’intérieur, clame Massoud Mirshahi, responsable de la Journée internationale Norouz. Mais la France, vis-à-vis de l’Iran, est très conservatrice. On sent qu’elle ne sait pas quelle voie choisir, mais elle ne peut pas rester dans cette position. Les Iraniens ont l’œil sur la France, connue pour ses libertés. Les messages qui viennent d’ici ont donc une valeur fondamentale. »

Pour ce faire, le chemin semble long tant la répression est féroce. Et certains, comme Arash, 70 ans, de s’interroger sur la mouvance, qu’il juge « islamo-gauchiste et envahit l’Hexagone ». « La France m’a tout donné, elle m’a appris les droits de l’homme, les droits des femmes. Mais les organisations féministes qui se lèvent d’ordinaire pour tout ce qui concerne les violations des droits des femmes, où sont-elles pour dénoncer ce qui se passe en Afghanistan ou en Iran ? Ce sont les régimes les plus noirs de l’humanité… Femme, Vie, Liberté, c’est le plus beau slogan du monde ! Où sont les féministes pour défendre cela ? Elles ne voient pas ce qui se passe en Iran ? » s’insurge-t-il les larmes aux yeux.

Dans le même temps, Alexandra Szpiner, élue française, proclame sous les applaudissements du public : « Les mollahs, ce régime totalitaire, ce régime des ténèbres, c’est votre ennemi, c’est notre ennemi commun. Nous devons chaque jour être là pour dire notre effroi, notre colère. La France doit être là, avec l’Europe, pour dire que les gardiens de la révolution, ce bras armé de la terreur, doivent être inscrits sur la liste des organisations terroristes. »

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Pourtant, sur le parvis des droits de l’homme, l’espoir est de mise et la motivation semble être à toute épreuve. « C’est comme un jeu d’échec, affirme Massoud Mirshahi. Il faut bien déplacer les pions, qu’on puisse attaquer. Mais pour cela, il faut être organisé. Si au moins, on peut enlever le hijab chez les femmes iraniennes, ça sera déjà un premier pas pour faire briser les autorités islamiques. Nous comptons sur les jeunes pour cela… »

Les jeunes mobilisés

Et les jeunes ont répondu à l’appel et sont nombreux sur l’esplanade du Trocadéro. Parce que cette année, Norouz est aussi l’occasion de faire entendre les différentes initiatives entreprises pour faire connaître au monde entier les violations des droits de l’homme. « Moi, raconte une jeune étudiante franco-iranienne, je suis là pour parler de We are Iranian Students, une association dont je fais partie. Notre but est d’amplifier la voix des étudiants qui sont aujourd’hui persécutés », à l’instar des parrainages de prisonniers politiques dont la médiatisation a connu un certain succès.

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Son groupe a ainsi créé une base de données qui recense le statut précis des étudiants arrêtés, nom, prénom, photo, formation, autant d’éléments fournis par les syndicats étudiants locaux via l’application Telegram. « Aujourd’hui, nous avons recueilli 800 noms, mais nous savons que les chiffres réels sont bien plus importants. Nous savons aussi que 400 d’entre eux ont été condamnés ou sont toujours en prison. » Pour que ces jeunes ne soient pas oubliés, We are Iranian Students s’affaire à mettre en place un parrainage académique international.

La mobilisation bat donc son plein pour que les droits des femmes et des hommes soient un jour enfin respectés. Et ces peuples se battent pour que leurs rêves deviennent réalité et que le vent tourne, bien plus loin que depuis le parvis des droits de l’homme. « La joie ultime serait de fêter bientôt Norouz en Iran, dans la démocratie, glisse un jeune Franco-Iranien. Un pays où je n’ai jamais pu aller malgré avoir tout essayer. »

«Cette année, on dédie ce rassemblement au mouvement «Femme, Vie, Liberté», à toutes ces femmes d’Iran et d’Afghanistan qui se battent tous les jours contre un gouvernement tyrannique, dictatorial, théocratique, et surtout misogyne», explique Nazila Golestan, porte-parole de l’association Hamava.
«Cette année, on dédie ce rassemblement au mouvement «Femme, Vie, Liberté», à toutes ces femmes d’Iran et d’Afghanistan qui se battent tous les jours contre un gouvernement tyrannique, dictatorial, théocratique, et surtout misogyne», explique Nazila Golestan, porte-parole de l’association Hamava. © Anne Bernas/RFISource: RFI