Par Armin Arefi
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Le message provenant d’Iran annonce une mauvaise nouvelle. Envoyé le 3 janvier dernier sur la messagerie électronique WhatsApp depuis le téléphone portable de la mère de Massi Kamari, réfugiée politique résidant en France, il invite l’Iranienne à rappeler immédiatement le numéro. À l’autre bout du fil, un agent du ministère iranien des Renseignements.
L’homme vient de convoquer les parents de cette militante de 42 ans, qui a participé à plusieurs manifestations à Paris en faveur du soulèvement populaire en Iran. « L’agent a alors diffusé à mes parents des photos de moi en train de manifester en France, puis des extraits de conversations où je les interrogeais sur la situation en Iran et leur demandais pourquoi ils ne montaient pas sur les toits pour scander des slogans », raconte Massi Kamari au Point. « Puis il a prétendu que je les encourageais à protester, et il a gardé le téléphone portable de ma mère pour qu’elle me pousse à le rappeler. »
Refusant tout d’abord de céder à l’injonction, l’Iranienne décide finalement d’appeler le jour même le numéro dans le seul but de rassurer ses parents âgés. Elle prend soin, au préalable, d’enregistrer la conversation avec le téléphone portable d’une amie. Après d’interminables sonneries sans réponse, une voix masculine finit par décrocher. « Allo, Madame Kamari, comment allez-vous ? » demande l’agent du renseignement sur un ton glaçant. Après quelques amabilités d’usage, l’individu en vient aux faits : « Regardez, l’action que vous avez menée là-bas [en France] est une action contre la sécurité nationale [de l’Iran] », accuse-t-il.
Accusations farfelues
Préparée à de telles allégations farfelues, Massi Kamari ne se laisse pas impressionner pour autant : « L’action que je mène ici [en France] est légale, assure-t-elle avec fermeté. Et selon la loi de ce pays, elle ne pose aucun problème. » Mais l’homme à l’autre bout du fil reste impassible : « Moi, je dis que l’action que vous menez là-bas est une action contre la République islamique et la sécurité de ce pays », insiste-t-il. « J’ai des preuves de ce que j’avance et un dossier existe. Sur votre page Instagram, vous publiez des articles visant à renverser la République islamique et encouragez tout le peuple d’Iran à commettre des actions contre la sécurité de ce pays. »
L’Iranienne a beau arguer que son compte personnel est privé, et que de fait, elle ne peut inciter 83 millions d’Iraniens à descendre dans la rue, rien n’y fait. L’agent se fait encore plus menaçant : « Vous-même, comme le gouvernement français, aurez à répondre [de vos actes]. » Présente sur le territoire français depuis 2018 avec un statut de réfugiée politique, la militante ne se sent pas entièrement à l’abri des sbires du régime. « Cela fait des années que la République islamique menace ses opposants à l’étranger et n’hésite pas à les tuer », rappelle Massi Kamari, qui a rejoint l’an dernier l’association HamAva, qui se présente comme une Coalition nationale pour un Iran démocratique et laïque, sans pour autant se définir comme une « militante active ».
Culot
Mais l’Iranienne se remémore soudain le cas de la journaliste Masih Alinejad, victime l’an dernier aux États-Unis d’une tentative d’enlèvement et de meurtre qui n’a été déjouée que grâce à l’intervention du FBI. Il y a trente et un ans, c’est à Suresnes, en banlieue parisienne, que le dernier Premier ministre du Shah et opposant iranien Chapour Bakhtiar a été sauvagement assassiné.
« On ne sait jamais à quoi s’attendre avec la République islamique », prévient-elle. Pourtant, ce n’est pas directement en France que l’agent de la République islamique compte agir pour faire taire sa contemptrice, mais en Iran, en faisant pression sur ses parents. « Vos parents et votre sœur sont encouragés par vous-même à mener une action contre la sécurité nationale de notre pays, ce qui est une autre infraction répréhensible par la loi », avertit sans honte le fonctionnaire. « Le troisième problème est que votre père vous aide financièrement, ce qui ne correspond plus à l’aide d’un parent à un enfant, mais à l’aide d’une personne qui possède la nationalité française et qui mène une action contre la République islamique. »
Bouleversée par un tel culot, Massi Kamari, qui assure par ailleurs ne pas être soutenue financièrement par sa famille, tente de rappeler à son interlocuteur l’aberration de telles accusations : « Dans aucun endroit au monde, vous ne verrez la famille d’une personne payer en lieu et place de celle-ci, souligne-t-elle.
– En Iran si, répond-il aussitôt. La République islamique a ses propres lois, comme la France possède les siennes. Faites ce que vous voulez, poursuit-il. Continuez si vous le souhaitez, mais ce sera à votre famille d’y répondre ici.
– Ma famille répond de ses propres actes, le reprend-elle de volée. Moi, j’ai 42 ans, et cela me fait rire de vous entendre.
– Écoutez-moi, la coupe-t-il. Votre mère, avec son âge, va venir à [la prison d’]Evin, votre sœur, avec son âge, va venir à Evin. Votre père aussi, et, là-bas, ils vont être interrogés.
– Ok, interrogez-les, désespère-t-elle. S’ils ont commis quelque chose, allez les interroger. »
Courage
Après avoir raccroché, Massi Kamari bloque le numéro de sa mère ainsi que celui de son père. Elle reçoit néanmoins toujours des nouvelles de ses parents par le biais d’une autre sœur vivant à l’étranger. Celle-ci lui a appris qu’ils n’avaient pas été à nouveau inquiétés. Après avoir longtemps hésité, la militante a décidé de ne pas céder à la peur et de diffuser l’enregistrement de l’appel dans une interview jeudi à la chaîne Voice of America en langue persane. « La République islamique a toujours fonctionné avec les menaces, explique-t-elle. Elle compte sur le silence des victimes pour arriver à ses fins. Et cela n’arrivera pas avec moi. »
En France, Massi Kamari a décidé d’alerter, via l’association HamAva, la présidence de la République, le ministère des Affaires étrangères ainsi que le ministère de l’Intérieur. « Après tout, se dit-elle, il n’est pas question de prendre moins de risque que les manifestants iraniens qui continuent à descendre dans la rue au péril de leur vie pour un Iran libre et démocratique. » C’est ainsi qu’elle a appris que d’autres Iraniens de France avaient vécu la même désagréable expérience.